Le leadeurship au féminin

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Le 5 novembre dernier avait lieu « ElleLead18 », une première journée sur le leadeurship féminin en éducation au Québec. Pour l’occasion, j’ai été invitée comme panéliste pour l’événement, en tant que directrice dans une école pour filles. Pour me faire une tête sur le sujet et répondre à la question « Que faites-vous dans votre milieu de travail pour développer intentionnellement des leadeurs féminins? », j’ai investigué notamment en interrogeant des enseignants, des élèves, des anciennes et des parents pour connaitre leurs différentes perspectives. J’ai envie de vous livrer le fruit de cette réflexion, mais juste avant, je souhaite vous présenter un très bref résumé de ce que j’ai retenu des propos de la conférencière d’ouverture.

La journée a très bien commencé avec une conférence de Françoise Bertrand, très connue pour avoir été, pendant 13 années, PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec et pour s’être démarquée comme leadeur féminin en recevant une multitude de reconnaissances, dont celle d’Officière de l’Ordre du Canada pour « sa contribution en tant qu’administratrice et modèle pour les femmes » (Les Affaires, 2016). C’est avec candeur et humour que Mme Bertrand a partagé au public que, pour elle, le leadeurship est une forme de croissance personnelle, car il reflète notre personnalité et qu’il faut donc se connaitre pour être un bon leadeur. Selon elle, il n’y a pas de recette définie, mais il faut être authentique. De plus, l’exercice d’un « leadeurship est exigeant, mais excitant ». En ce sens, il faut être capable de prendre des risques, de saisir les opportunités, d’oser se lancer, de sortir de sa zone de confort, tout en faisant preuve d’agilité et de capacité d’adaptation, « sinon on stagne et on ne contribue pas! Le monde a changé, il change et il continuera à changer » comme le dit si bien Mme Bertrand, d’où cette nécessité de s’avoir s’adapter. Au cours de sa conférence, Mme Bertrand a aussi insisté sur le fait que nous ne sommes pas leadeurs seuls : il faut savoir collaborer. « On fait ça avec un réseau, car le leadeurship se développe entouré ». Elle a de même conclu en réitérant l’importance du développement de la confiance en soi et de la résilience pour apprendre à se relever après un échec et poursuivre ses efforts afin d’atteindre ses objectifs.

Et que fait-on concrètement au PSNM pour favoriser le développement du leadeurship?

D’abord, le contexte d’une école de filles favorise le développement du leadeurship par rapport à deux aspects. Premièrement, parce qu’en l’absence de garçons, les filles finissent par s’approprier tous les rôles à l’intérieur de cette microsociété. Je donne un exemple simple pour l’illustrer : dans un orchestre mixte, on constate que certains instruments sont plus souvent choisis par des garçons et d’autres par des filles. Or, dans un orchestre scolaire exclusivement féminin, tous les instruments, de la flute traversière à la batterie, doivent être interprétés par des filles. Nous pouvons transposer ce concept dans tous les contextes de l’école où les filles doivent s’approprier tous les rôles.

En deuxième lieu, le fait d’être seulement entre filles amène une dynamique de collégialité, d’entraide et d’ouverture qui enlève une certaine gêne. Les filles, particulièrement les plus timides, vont davantage oser, car elles ont moins peur du jugement des autres. Je tiens toutefois à préciser que cela ne veut pas nécessairement dire que l’on repousse cette réalité à plus tard, car elles devront composer avec la mixité, mais pendant cette période charnière qu’est l’adolescence pour le développement de l’identité, il apparait clairement, pour les élèves que j’ai interrogées sur cette question, que ce sentiment de non-jugement incite les filles à s’exprimer ouvertement. Le fait d’avoir osé leur permet de recevoir une rétroaction positive de leur participation, ce qui les amène à vouloir récidiver et à oser de nouveau. Elles prennent de l’assurance. Pour chacune, ceci contribue à bâtir leur estime d’elle-même et leur confiance en elle.

La confiance en soi est d’ailleurs un élément primordial dans le développement du leadeurship. Ainsi, pour faire émerger cette confiance à travers les cours, les enseignants proposent des situations d’apprentissage et d’évaluation ouvertes et différenciées, où l’élève a la possibilité de faire des choix pour être dans sa zone proximale de développement. Le fait d’avoir du contrôle sur ses choix engage le développement de la connaissance de soi et donc de la confiance en soi. De plus, les enseignants savent qu’il est crucial d’apporter une attention individuelle à chaque élève pour qu’elle se sente importante et unique. Ils adoptent aussi une attitude encourageante qui valorise le travail accompli, qui salue la persévérance et qui félicite la prise de risques, sans critiquer la personne. Enfin, les enseignants offrent des occasions aux élèves de travailler en équipe, car ils savent que l’apprentissage de la collaboration est essentiel pour leur avenir, même si elle n’est pas toujours facile.

À l’extérieur des cours, nous proposons une variété d’activités et de projets qui permettent aux élèves de développer leurs talents, leurs passions, de relever des défis en fonction de leurs gouts et de leur personnalité. Le leadeurship se développe notamment en permettant aux élèves de prendre des décisions à travers divers comités dans l’école où elles peuvent changer des choses. Il faut les écouter sincèrement et respecter leurs idées. Un autre élément que les filles ont nommé d’entrée de jeu pour le développement du leur leadeurship est le sport et particulièrement le sport d’équipe. Comme nous avons une trentaine d’équipes sportives féminines, nous avons environ le tiers de nos élèves qui s’impliquent dans un sport de compétition, et ce, sans compter les sports récréatifs.

Nous mettons également en place des structures au sein desquelles les élèves sont amenées à aider d’autres élèves, comme le GRAF, un service d’aide en français, ou l’étude dirigée. Ainsi, les élèves exploitent leurs forces pour aider les autres, elles apprennent ensemble à s’entraider, et ainsi, à savoir s’entourer et collaborer.

C’est aussi en acceptant des initiatives personnelles que nous pouvons favoriser le développement du leadeurship. Nous recevons régulièrement des demandes de projets d’élèves, notamment dans le cadre des projets personnels. En effet, les élèves doivent réaliser un projet personnel authentique et d’envergure en 5e secondaire. Nous tentons, autant que possible, mais ce n’est pas toujours évident, de jouer un rôle de facilitateur par exemple en acceptant de prêter des locaux lors d’une journée pédagogique pour la tenue d’un tournoi mis sur pied par une élève ou en acceptant la création d’un nouveau comité d’élèves.

Comme le leadeurship se développe particulièrement dans l’action et en situations réelles, le bénévolat s’avère un élément pertinent et concret pour faire émerger des étincelles. Nous imposons aux élèves de faire du bénévolat, mais nous leur laissons la latitude de choisir comment elles veulent s’impliquer, en fonction de leurs intérêts et de leurs capacités. Ainsi, même si la motivation est limitée au départ, l’élève réalise, une fois dans l’action, que poser des gestes concrets a un impact visible sur d’autres personnes. Les élèves sont donc amenées à réaliser qu’elles ont un impact positif et qu’elles peuvent faire une différence pour changer le monde. Le bénévolat leur permet entre autres de développer des qualités humaines, telles que la conscience sociale et l’altruisme, qui sont des belles qualités que nous recherchons pour les leadeurs de demain.

Une autre manière de favoriser le développement du leadeurship au féminin est d’inspirer les élèves en mettant en valeur des femmes inspirantes d’hier et d'aujourd’hui lors, par exemple, de projets de recherche ou en provoquant des débats sur des questions féministes.

Enfin, nous faisons ouvertement la promotion des métiers à prédominance masculine pour conscientiser nos élèves au fait qu’il manque de représentantes féminines dans certains domaines. Nous souhaitons qu’elles sentent qu’il n’y a pas de limites à ce qu’elles peuvent faire et qu’elles ont le devoir de prendre leur place dans tous les domaines : on pense notamment à la robotique, à la programmation, à l’ingénierie, etc.

Cet exercice réflexif m’a amenée à formuler huit conseils, adressés particulièrement au monde de l’éducation, pour favoriser le développement du leadeurship chez les filles :

  • Favorisez l’implication et la participation à des activités, notamment le bénévolat.
  • Accordez de l’importance à chacune; faites sentir à chaque élève qu’elle est une personne unique et importante.
  • Présentez des modèles de femmes d’action, de femmes d’affaires, de femmes inspirantes. Si vous êtes une femme, soyez un modèle.
  • Encouragez les filles à croire que tout est possible et démolissez le « syndrome de l’imposteur ».
  • Faites émerger les initiatives et faites développer la capacité d’adaptation en proposant des situations non familières.
  • N’accordez pas toute l’importance aux résultats. Arrêtez de donner des consignes trop précises; donnez de la flexibilité; donnez plutôt des buts ou des objectifs à atteindre; encouragez la prise de risques et saluez l’erreur; dites-leur d’oser prendre des risques, même si elles ne sont pas certaines d’être capables ou d’être parfaites.
  • Valorisez la différence; recherchez l’originalité et acceptez le non-conformisme.
  • Enseignez le courage; apprenez-leur à être fières et même à se vanter de leurs réalisations.
Le personnel du PSNM contribue grandement à ce type de leadeurship.

Le PSNM nous transmet l’importance d’être des jeunes femmes équilibrées. Les études sont importantes, mais il est tout aussi essentiel de faire du sport, de s’inscrire à des activités parascolaires, d’avoir du plaisir avec ses amis et avec sa famille, de s’impliquer dans différentes sphères de nos vies et de s’ouvrir au monde.

Le personnel du PSNM contribue grandement à ce type de leadeurship, car il nous encourage tous les jours à réfléchir à l’égard de notre condition féminine, à petite et à grande échelle, pour évoluer. Le bénévolat joue un rôle clé dans le développement d’une conscience du monde qui nous entoure. Certains professeurs adaptent même leurs cours afin de se concentrer sur le côté féminin de la matière (par exemple, dans le cours d’éthique et culture religieuse, on parle du rôle de la femme dans les textes et les traditions religieuses).

On apprend à collaborer et à s’entraider. Le PSNM dispose de sphères de nos vies et de s’ouvrir au monde. plusieurs aides pédagogiques (le GRAF, par exemple), où ce sont les élèves, sous la supervision d’un professeur, qui aident volontairement celles qui en ont besoin.

Je dirais que cet environnement féminin nous amène à nous serrer les coudes entre filles. Nous développons une solidarité inébranlable les unes envers les autres, nous devenons notre deuxième famille. L’environnement féminin enlève la gêne, mais nous pousse en plus à nous dépasser et à nous développer au maximum de nos capacités, dans un esprit de fratrie.

Justine Mathieu

Diplômée du PSNM

Références

Nomination de Françoise Bertrand. (17 novembre 2016). Les Affaires. Repéré à https://www.lesaffaires.com/nominations/proaction-international/nomination-defrancoise-bertrand/591739.